jeudi 24 septembre 2009

RESPECTONS L'INDEPENDANCE DE LA JUSTICE

Depuis lundi a commencé un procès-fleuve devant le TGI de Paris. A lire les motifs pour lesquels sont déférés devant la dite juridiction les prévenus, on pourrait croire qu'il s'agit d'un procès banal comme il y en a tant.
Or, l'accusation y sera soutenue en personne par le procureur de la république près le dit tribunal, ce qui est certainement un signe de l'importance de la cause. Une affaire signalée, dont la gestion quotidienne n'a pas échappé au plus haut magistrat du parquet du TGI de Paris. En effet à Paris vu l'importance numérique des dossiers qui sont audiencés, ce sont le plus souvent des substituts peu connus de l'opinion publique qui requièrent l'application de la loi.
Parmi les mis en cause, un ancien premier ministre. Ce n'est pas banal, même si la consultation des plumitifs d'audience des vingt dernières années permet de découvrir ça et là des noms de ministres ou d'anciens ministres.
Plus rare encore, l'une des parties civiles est le Président de la République en exercice.
Or, la constitution fait du Président de la République le garant de l'indépendance de la justice, et c'est lui qui de surcroit nomme les chefs de juridiction, sans nécessairement être liés par les avis du Conseil Supérieur de la Magistrature, s'agissant des magistrats du parquet.
Voilà qui constitue assurément une situation inédite.
Le procès équitable repose entre autres sur l'équité des armes. Est-elle respectée lorsque la partie civile est aussi l'autorité supérieure hiérarchique du Ministère public?
Précisément, dans sa sagesse, le législateur a disposé que durant l'exercice de ses fonctions, le président de la république en exercice ne pouvait être poursuivi pendant son mandat, prenant en considération la dignité de la fonction et l'idée qu'il ne faut pas l'affaiblir.
Ne serait-il pas opportun de préciser la constitution sur ce point à savoir que le Président de la République ne peut exercer les droits de la partie civile durant son mandat, quitte à ce que l'audience civile se déroule après l'expiration de ses fonctions, la justice pénale restant sauve à partir du moment où dans notre droit pénal français, une juridiction pénale ne peut-être saisie que par le parquet, juge de l'opportunité des poursuites, sauf en matière particulière de droit de la presse.
La question n'est pas anecdotique, ni un cas d'école, car l'on ne voit pas comment l'action civile pourrait être soutenue si d'aventure un ou plusieurs des prévenus étaient acquittés.
La conséquence collatérale d'un acquittement des prévenus en question et le rejet de la constitution de partie civile serait à n'en pas douter un affaiblissement certain de la dignité de la fonction présidentielle.
La constitution de partie civile d'un président de la république en exercice à l'audience de jugement, constitue un précédent inouï, de nature à faire peser un doute sérieux sur la sérénité qui devrait seoir au jugement d'une telle cause.
Ce n'est pas que l'on doive s'autoriser à soupçonner l'intégrité personnelle, la déontologie des magistrats ayant à connaître de cette affaire, mais la pression médiatique et politique qui s'exerce n'est pas mince. Ce d'autant plus que le procès qui se déroule dans l'enceinte judiciaire est doublé d'un procès qui se déroule dans un prétoire démultiplié et immatériel.
Tout cela devrait inciter à prudence et retenue, à commencer celui à qui les Français ont confié la charge éminente de garantir l'indépendance de la justice.
Or parmi les principes qui s'imposent à tous les citoyens, il y a la présomption d'innocence. Et la haute idée que dans une démocratie nous devrions avoir des devoirs qui incombent à ceux qui nous représentent devrait faire que les devoirs du simple citoyen s'imposent à eux avec plus d'acuité et d'exigence de vérité.
Alors même que plusieurs semaines d'audience vont mobiliser le TGI de Paris pour tenter de démêler le vrai du faux, de faire le tri des mensonges, des silences et des témoignages démonétisés en raison de leur fluctuations parfois à 180 °, le Président de la République interrogé à New-York tient les propos sidérants que voici : "au bout d’une longue enquête, deux juges indépendants ont estimé que les coupables devaient être renvoyés devant le tribunal correctionnel…".
C'est hallucinant. Quel message fait-on passer en proférant urbi et orbi une telle bourde.
On aimerait croire que par respect de l'indépendance de la justice, pour la bonne administration de celle-ci, le président de la république s'applique à lui-même les dévoirs inhérents à la partie civile, dont le premier devoir est de ne pas s'exprimer sur l'affaire en cours.
Nous n'allons pas faire de cours de droit pénal pour les nuls. Mais nous nous demandons à quoi cela peut bien servir de renvoyer des prévenus devant un tribunal, si la cause est entendue à ce point. Il est des lapsus qui sont inquiétants, parce que non seulement ils révèlent des lacunes de connaissance qu'on aurait quelque peu de mal à accepter d'un étudiant débutant sa licence de droit, mais ils accréditent l'idée d'une France qui n'est pas celle de la République apaisée, celle de la démocratie dont les lois tempèrent les excès d'où qu'ils viennent. Ces dérapages accréditent l'idée que au moins en pensée, la Justice est mise au carré.
Or ces propos ne sont pas des propos de café du commerce tenu par un citoyen lambda qui dans l'usage quotidien de la langue ne fait pas de distinction sémantique.
Ces propos sont tenus par le président de la République, qui de surcroît fut avocat dans une vie antérieure, ces propos, ce qui est pis, sont proférés Urbi et Orbi, en terre étrangère, en marge du G20. Qu'on le veuille ou non, c'est la parole de la France qui est engagée. C'est son renom que l'on atteint, c'est sa gloire de patrie libre que l'on souille.
Tout cela n'est pas anodin et prend ses racines dans les maux que nous dénonçons depuis 2007, l'ambition hypertrophiée, la cupiditas dominandi qui conduit à ne point maîtriser les passions humaines.
Où est-il le temps d'Auguste pardonnant à Cinna?
Mais le président de notre pays n'est point Auguste.

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