mercredi 12 octobre 2011

LES PRIMAIRES DU PS, UN BIDE ABSOLU ?

Nous connaissions les OVNI, objets volants non identifiés. Nous découvrons depuis quelques semaines un OCNI, objet constitutionnel non identifié.
Nul n'ignore que cette année 2012 est celle de l'élection présidentielle. Peu de gens savent en revanche quelles sont les conditions que notre loi fondatrice, la Constitution du 4 octobre 1958, amendée par ses révisions successives, fixe pour cette élection.
Depuis 1962, la Constitution dispose que le Président de la République est élu au suffrage universel direct et que cette élection si aucun candidat n'obtient la majorité absolue au premier tour implique un second tour le deuxième dimanche qui suit auquel seuls sont en lice les deux candidats arrivés en tête au premier tour. Les lois organiques précisent les conditions requises pour être candidat à cette élection. Outre l'évidence nécessaire d'être de nationalité française, ces lois organiques précisent les conditions d'âge et de recevabilité des candidatures. Ainsi en vertu de la loi n° 76-528 modifiant la loi n° 62-1292, le droit de présenter des candidats à l'élection présidentielle revient aux élus. Et pour qu'un candidat soit autorisé à se présenter devant les électeurs, il doit  avoir recueilli sur son nom au moins cinq-cents signatures d'élus et présenter devant le conseil constitutionnel une déclaration de patrimoine.
Les élus qui peuvent présenter un candidat sont :

  • les députés et les sénateurs,
  • les maires (maires délégués des communes associées, maires des arrondissements de Lyon et de Marseille),
  • les membres élus de l'Assemblée des Français de l'étranger,
  • les présidents des organes délibérants des communautés urbaines, des communautés d'agglomération et des communautés de communes,
  • les conseillers généraux des départements, de Mayotte, de Saint-Pierre-et-Miquelon et du conseil de Paris,
  • les conseillers régionaux,
  • les membres élus de l'assemblée de Corse, de l'assemblée de la Polynésie française, du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie et de l'Assemblée territoriale de Wallis-et-Futuna,
  • le président de la Polynésie française et le président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie,
  • les membres du Parlement européen élus en France et ressortissants français.

Le nombre de signataires potentiels est d'environ 45 000 personnes dont plus de 36 000 maires.
 
Ces parrainages doivent venir d'au moins trente départements ou collectivités d'outre-mer différents (les représentants des Français de l'étranger et des élus du Parlement européen étant comptabilisés dans deux départements fictifs à part entière), sans que plus d'un dixième d'entre eux soit issu du même département ou de la même collectivité d'outre-mer.
Source des données http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89lection_pr%C3%A9sidentielle_en_France

Que les partis politiques dans le cadre de leur fonctionnement interne mettent en oeuvre pour leurs seuls adhérents des procédures de désignation démocratique est une chose, mais la mise en oeuvre de primaires par le Parti Socialiste crée un précédent juridiquement fâcheux, ce d'autant plus qu'elle implique l'utilisation des listes électorales officielles.
Aucun texte normatif ne fixe de cadre pour une consultation directe de citoyens dont au demeurant une part n'est pas électeur (jeunes de moins de 18 ans, étrangers) alors qu'elle a pour finalité de désigner le candidat d'un parti à l'élection présidentielle, alors qu'existe une procédure constitutionnelle qui garantit la représentativité des candidats présentés, sauf à prétendre que les élus chargés de présenter un candidat à l'élection présidentielle ne représentent rien. 
Que dans le cadre d'une campagne électorale les coordonnées des électeurs soient collectées pour l'envoi à domicile de documents émanant des candidats est une chose, que son utilisation ait été rendue possible en l'absence de toute disposition législative prévoyant un tel type de consultation est juridiquement dangereux et moralement contestable.
Un tel scrutin garantit-il le secret du vote ? La collecte d'argent à cette occasion soumettant la participation au versement d'un Euro minimum a quelque chose qui en est soi choquant, est-elle compatible avec les lois existantes qui encadrent très strictement les règles de financement des partis politiques? La signature d'une déclaration d'adhésion aux valeurs de la gauche n'est-elle pas une épée de Damoclès? Parce que chez  le sympathisant non membre du parti en question celui-ci peut estimer à bon droit que cet engagement est privé et ne se divulgue pas? Parce que le sympathisant ou le membre d'un parti concurrent ou adverse peut venir jouer le chien dans le jeu de quilles et potentiellement influer sur le résultat. Imagine-t-on un seul instant même si cela relève de la politique fiction que le candidat désigné ne doive en réalité sa désignation qu'à l'intervention massive d'électeurs du parti adverse.
Enfin, une telle élection même à bulletin secret force celui qui s'y déplace ou qui s'abstient à afficher de ce fait même une couleur politique. Cela ne risque-t-il pas écorner le devoir de réserve qui pèse sur certaines professions, qui ont le droit de vote lors des élections, mais qui en raison même de leurs fonctions doivent s'abstenir de toute délibération politique (administration préfectorale, chef des services déconcentrés des ministères, autorité judiciaire, militaires...)? 
Imagine-t-on l'usage qui pourrait-être fait de tels listings si précisément ceux-ci n'étaient pas détruits aussitôt la consultation effectuée. 


Le nouveau gouvernement, ou même l'actuel n'échapperont pas à la nécessaire clarification législative qui devra s'opérer. Soit, on pose que ce type de consultation contrevient aux libertés publiques en venant parasiter une procédure constitutionnelle existante, et dans ce cas, elle doivent être purement et simplement interdites. Soit on en tire les conséquences constitutionnelles qui s'imposent en modifiant soit la loi organique, soit la constitution, et s'agissant de l'élection du président de la république, la procédure du referendum s'imposerait. Mais comme pour le passage du septennat au quinquennat d'une part, et l'inversion du calendrier des législatives, on ouvre une boîte de pandore sans savoir ce qu'elle contient réellement. Proposer une telle modification de la constitution maintenant pour la prochaine présidentielle aurait aussi pour mérite de placer le sénat face à ses responsabilités. 

Les médias nous ont abreuvé pendant ces trois semaines d'un matraquage éhonté, au point d'en faire perdre le sens commun. 

Aujourd'hui, au lendemain d'un premier tour, est-il crédible de parler de succès démocratique quand une part infiniment infime de l'électorat s'est déplacé. Rapporté aux seuls 17 millions et quelques du précédent candidat de ce parti lors de la précédente élection présidentielle, cela laisse pantois et rêveur et il serait plus judicieux de parler de fiasco ou de parodie doublée d'une lucrative opération commerciale pour un parti qui aura pour seul avantage incontestable de ne pas avoir laissé de plumes dans l'affaire.

Cet OCNI constitue une étape supplémentaire dans l'américanisation de nos moeurs électorales et loin de constituer un progrès, il masque une régression inquiétante.
Le côté casting et combat d'images s'y aggrave, puisque outre l'éviction avant même le dépôt des candidatures d'un probable candidat - pour qui il ne se serait agi que de primaires de confirmation - pour des raisons d'ordre judiciaire et touchant à l'éthique personnelle et à l'adéquation entre comportement et valeurs que l'on prétend incarner, le scrutin en question renforce le brouillage avec l'inscription du candidat dans l'histoire. François Mitterrand s'est présenté deux fois sans succès à la magistrature suprême, en 1965, 1974, et 1981; Jacques Chirac également, en 1981, 1988 et 1995, au terme d'un cursus honorum qui rendait crédible l'exercice de telles fonctions.
Ségolène Royal se retrouve reléguée par un score humiliant qui apporte le désaveu cinglant du choix de 2007 et donne raison a posteriori à ceux qui - vox clamantis in deserto, voix de celui qui crie dans le désert - représentaient et objectaient que ce choix là n'était peut-être pas le plus idoine. Après la Madone de 2007, nous ressort-on à présent l'icône de la Mater Dolorosa? Et - cruelle ironie - la saga familiale et le soap opéra de 2007 connaissent un nouvel épisode inattendu, puisque Monsieur Ex, François Hollande, et la rivale du congrès de Reims sont les qualifiés de ce deuxième tour, et le troisième homme est évidemment l'objet de toutes les convoitises. À l'heure des primaires socialistes, l'Assemblée Nationale débat d'une proposition d'un député de droite d'instaurer l'encadrement militaire des jeunes délinquants, hommage du vice à la vertu et de la vertu au vice, c'est selon, mais politiquement c'est bien joué pour instiller le doute chez les électeurs potentiels de la dame de l'ordre juste.

Sérénade chez les chtis, ou banquet radsoc au cul des vaches en Corrèze, voilà le débat qu'on nous propose. Tout ça pour ça.

Or les élections présidentielles sont tout, sauf un combat d'images; ou plutôt ne devraient pas l'être. 
La politique ne sort pas grandie de ce barnum pseudo-électoral qui n'a de citoyen que le nom, comme si un parti manquait à ce point d'humilité pour s'imaginer seul et unique dépositaire des valeurs censées cimenter le socle commun du pacte civique français. 
Le monde des médias qui s'est prêté à cette mascarade, qui a contribué à l'aveuglement collectif de nos concitoyens ne sort pas grandi d'avoir une fois de plus eu la sotte prétention d'imposer le prêt à penser. En 2007, après avoir imposé la loi d'airain des sondages pour faire désigner Ségolène Royal, ce même microcosme médiatique dont les relations d'intimité avec les sphères financières et ceux qui se taillent la part du lion du gâteau politique ont imposé l'image délétère d'un premier tour inutile - nous parlons de la vraie élection - comme si en vertu d'un  droit divin d'un nouveau genre le deuxième tour ne devait opposer que la droite et la gauche, comme si l'alternative était illégitime ou suspecte. Aujourd'hui ce même monde médiatique, cet arrogant pandemonium sacrifie tel le fier Sicambre sur le bûcher des vanités l'idole naguère portée au pinacle. 

Autant de signes qui montrent que ce genre de consultation est un usage contraire aux moeurs et usages républicains de notre pays. 
Lorsque dans un parti politique, une personnalité a suffisamment de charisme, ce je ne sais quoi qui rend une candidature crédible, même au fil du temps, il n'est nul besoin de recourir à cette mascarade qui n'utilise que l'aspect extérieur d'une élection avec ses listes, ses émargements, ses isoloirs, ses urnes, mais trompe sciemment le citoyen sur son objet réel. 
Rapporté à l'étiage prévisible du score de deuxième tour d'un candidat de la gauche, le fait que 2,6 millions de personne inscrites sur les listes électorales se soient déplacés est loin d'en faire un tsunami rose, et encore moins un élan démocratique, sauf à vouloir en rajouter dans l'imposture en faisant une imposture de langage. 
Une consultation ciblant l'ensemble du corps électoral susceptible de voter lors d'une élection présidentielle et réalisant un tel score n'est pas un bon signe pour la démocratie. Si elle n'avait que pour unique objet de révéler ce que tout le monde sait, c'est-à-dire, la division entre la tendance gauchiste et la tendance sociale-démocrate d'un PS qui n'est pas en mesure de neutraliser la concurrence verte comme naguère le fit François Mitterrand avec les communistes, cela est parfaitement inutile. 
Qu'enfin à droite, on oublie à ce point la lettre et l'esprit de notre constitution pour se pâmer d'admiration devant ce simulacre est inquiétant. 
Dans ce concert de louanges devant les primaires à l'américaine on oublie juste l'essentiel. En Amérique, on est soit démocrate, soit républicain. Il n'y a pas de place pour la nuance, et l'élection se fait à un seul tour, non pas au suffrage universel mais sur le décompte de mandats de vote de grands électeurs dont la couleur politique est identifiée. 
En France, nous avons un premier tour qui permet justement cette expression des nuances, l'existence de formations refusant la logique bipolaire, et qui permet même, cela peut apparaître quelque peu baroque, à des groupuscules minoritaires de porter leur témoignage. Cela aussi, cela fait parti du génie français. 
Ne nous plaignons pas si demain on entend une nouvelle antienne médiatique proclamant urbi et orbi que la France est toujours en campagne électorale. Un président est à peine élu que l'on pense à sa succession. Et si les primaires devaient devenir un mode, elles rallongeraient d'autant la campagne électorale présidentielle se rajoutant aux effets collatéraux du passage au quinquennat qui raccourcit le temps politique français et qui politise de façon excessive et disproportionnée jusqu'aux débats municipaux où justement le quotidien des gens, ce qu'ils vivent vraiment justifierait que les étiquettes des partis restent à la porte de la salle du conseil municipal, ou même du conseil général ou régional. 






lundi 3 octobre 2011

UN PRÉSIDENT DE GAUCHE A LA TÊTE DU SÉNAT, UNE NOUVEAUTÉ ? PAS TANT QUE CELA ...

L'actualité de la semaine a remis sous les feux de la rampe médiatique la vénérable institution républicaine qu'est le Sénat.

L'élection attendue d'un président du Sénat appartenant au parti socialiste n'est pas une raison pour oublier l'histoire.

Que le vulgum pecus ignore l'histoire, passe encore, mais que les commentateurs politiques aient si peu de connaissances en histoire contemporaine est affligeant.

Déjà sous la Cinquième République, le Sénat fut présidé par un homme de gauche, Gaston Monnerville, pur produit de l'élitisme républicain. http://www.senat.fr/evenement/archives/D23/intro.html. L'on remarquera simplement qu'il était alors possible de naître à Cayenne et que cela ne conduisait pas à se heurter à un plafond de verre et n'empêchait pas de suivre le cursus honorum qui du barreau conduisait au plateau celui qui en avait les talents.

Gaston Monnerville



Il est aussi une figure dont le président nouvellement élu du Sénat aurait pu revendiquer le patronage, c'est Jules Jeanneney, qui présida le Sénat de 1932 à 1940 et fut l'un des ministres du général de Gaulle dans le gouvernement provisoire de septembre 1944 à novembre 1945. Lors de la débâcle de mai-juin 1940, il fut de ceux qui défendirent le départ des institutions de l'Etat en dehors de la France occupée, pour pouvoir continuer la lutte depuis Alger. Les événements tragiques et la pression des partisans de l'armistice ne le permirent pas. Après le vote de celui-ci, auquel il ne prit point part en sa qualité de président de l'Assemblée nationale (nom donné sous la troisième République à la Chambre des Députés et au Sénat lorsqu'ils étaient réunis soit à Versailles pour l'élection du président de la République, soit pour modifier les lois constitutionnelles sous la présidence du Président du Sénat), il ne cessa de défendre le maintien des assemblées s'opposant ainsi à Pierre Laval partisan de la mise en congé du Parlement. http://www.senat.fr/senateur-3eme-republique/jeanneney_jules1206r3.html .



Cet oubli de notre histoire contemporaine et des similitudes qu'elle présente par rapport à notre époque est préoccupante, car un pays qui oublie son histoire se laisse trop soumettre au primat de l'actualité et à l'arrogance infatuée des communicants de tout acabit dont on peut légitimement se demander à quelle date ils ont consulté pour la dernière fois un manuel d'histoire ou interrogé des bases de données documentaires sérieuses. 

mercredi 28 septembre 2011

SÉNATORIALES 2011, OU L’AMNÉSIE

Chacun connaît le résultat des élections sénatoriales intervenues dimanche 25 septembre. Mais la réalité oblige à deux commentaires lapidaires.

Non, ce n'est pas une vague rose, puisque le parti socialiste n'y a pas la majorité à lui tout seul, et même grossi de ses satellites avérés, l'écart qui sépare la gauche de la droite et du centre reste minime. 
Par ailleurs, si l'alternance relève ni plus ni moins que de la vie démocratique, y a-t-il lieu de se féliciter comme d'une nouveauté jamais vue que le Sénat soit à gauche ?
Il est faux de dire que depuis 1958 le Sénat était à droite. En effet, de 1958 à 1968, le Sénat était présidé par un homme de gauche, Gaston Monnerville, dont l'histoire a surtout retenu son opposition au Général de Gaulle lorsque celui-ci décida de faire adopter par referendum la modification de la constitution tendant à faire élire le Président de la République au suffrage universel.http://fr.wikipedia.org/wiki/Gaston_Monnerville
Dans les premiers temps de la Cinquième République, le Sénat n'était donc pas de droite, et il existait un courant suffisamment fort aux contours sans doute mouvants qui allait des socialistes au centre en passant par les radicaux. Et les gaullistes, s'ils disposaient à l'assemblée nationale d'une majorité plus ou moins importante, durent composer avec un Sénat hostile, dans le cadre d'une majorité de gouvernement où ils avaient pour alliés les Républicains Indépendants.

Ainsi en 1959 lors du premier renouvellement par tiers intervenu sous la cinquième république :
élections sénatoriales 1959
Source des données :
http://www.france-politique.fr/elections-senatoriales-1959.htm

Puis en 1962 :

élections sénatoriales 1962

Source des données : http://www.france-politique.fr/elections-senatoriales-1962.htm

Ensuite en 1965 :

élections sénatoriales 1965

Source : http://www.france-politique.fr/elections-senatoriales-1965.htm

Et enfin en 1968 :

élections sénatoriales 1968
Source : http://www.france-politique.fr/elections-senatoriales-1968.htm

Certes, le renouvellement triennal lissait évidemment les effets des élections municipales et cantonales et aussi législatives puisque les députés font partie du collège électoral des sénateurs du département qu'ils représentent à l'Assemblée Nationale. Ainsi, la marée gaulliste des élections législatives de juin 1968 n'a guère eu d'effet sur le renouvellement sénatorial de septembre.

Il est étonnant de voir la gauche d'aujourd'hui et ses relais médiatiques frappés d'une bien étrange amnésie. L'on peut dire qu'il s'agit d'une époque dont les témoins directs sont soit disparus, soit étaient bien trop jeunes à l'époque pour s'intéresser avec acuité à la chose politique et ses nuances. 
Qu'était exactement cette opposition sénatoriale ? Des alliances aux contours certainement mouvants, mais soucieuses des prérogatives sénatoriales, et sans doute hérissés par une certaine forme de personnalisation du pouvoir, incarné à tort ou à raison par de Gaulle, et l'arrivée en politique d'homines novi, d'hommes nouveaux, qui n'avaient pas connus les délices de la Troisième ou de la Quatrième République. Des alliances capables de trouver des points de convergence tant par refus des alliances avec les communistes pour les socialistes et les radicaux d'avant le Congrès d'Epinay que par rejet du gaullisme qui à leurs yeux présentait des relents de bonapartisme. Mais cela tenait aussi du mariage de la carpe et du lapin entre démocrates-chrétiens pour qui la conquête des voix passait par l'assistance à la messe et le maniement du goupillon aux sépultures et radicaux pour qui l'élection supposait l'entretien d'autres formes de sociabilité agraires pour les radicaux des champs et maçonniques pour ceux des villes. L'allergie à de Gaulle et/ou aux conditions de son retour au pouvoir tenant lieu de dénominateur commun. Et pour d'autres, le ciment de cette adhésion à l'opposition à de Gaulle était très probablement la nostalgie de l'Empire colonial, mais sans doute n'est-il pas politiquement correct de soulever ces tentures de l'Histoire.

Laurent de Boissieu http://www.ipolitique.fr/archive/2011/09/25/gauche-droite-presidence-senat.html nous rappelle judicieusement qu'il existait un centre d'opposition, le Centre Démocrate, auquel appartenait Alain Poher devenu président du Sénat en 1968, qui assura l’intérim des fonctions de Président de la République au lendemain de la démission du Général de Gaulle désavoué par les résultats du referendum sur la régionalisation et tendant à modifier largement le mode d'élection du sénat. Ce même Alain Poher affronta Georges Pompidou sous les couleurs de la droite non gaulliste, du centre, et des socialistes réfractaires alors à toute union avec les communistes.

Ce n'est donc qu'après 1974 et l'élection de Valéry Giscard d'Estaing que les Centristes achevèrent leur adhésion à la majorité présidentielle. Mais cela est une autre histoire.

Le Sénat d'entre 1958 et 1969 n'était pas de droite, et les composantes de la majorité présidentiellesdevaient nécessairement composer avec les autres. 

La présence de la gauche non communiste, des radicaux et des centristes dessinait alors une opposition aux contours mouvants, où les étiquettes importaient moins que l'habileté à la négociation et au compromis. L'élection à la présidence en raison même de la diversité des groupes interdisait la moindre oukase d'un groupe sur l'autre, mais induisait la recherche d'une personnalité la plus idoine sous le double critère de la dignité du cursus honorum et du zèle à représenter le Sénat et ses intérêts. 

Il est étonnant de constater l'étrange amnésie de la gauche actuelle sur cette période des premiers temps de la cinquième république. Cette gauche démocratique dont était issu Gaston Monnerville était aussi le groupe au sein duquel siégeait François Mitterrand en qualité de sénateur de la Nièvre entre 1959 et 1962.

Cette amnésie pose question. Le pire serait certainement qu'il s'agisse du refoulement  de racines politiques et idéologiques devenues encombrantes pour le parti socialiste et ses satellites d'aujourd'hui.



vendredi 11 février 2011

OÙ VA NOTRE JUSTICE ?

Notre démocratie est un bien précieux. Mais elle est une conquête fragile. Elle est le résultat de luttes, patientes et tenaces, parfois au prix du sang. Raison de plus pour l'estimer et la cultiver. 
Notre constitution repose sur le principe hérité de Montesquieu, celui de la séparation des pouvoirs. Elle est encore et toujours la meilleure garantie dont dispose le citoyen contre l'arbitraire. Encore faut-il que les institutions de notre République se respectent entre elles.


Il est rare de voir en dehors des prétoires robes rouges avec ou sans hermines, robes noires avec ou sans épitoges. Or pourtant c'est ce que les citoyens des villes de certaine importance pouvaient voir comme spectacle ce jeudi 10 février. 
L'on peut supposer que le monde de la magistrature n'est pas plus syndiqué que la moyenne des Français et des fonctionnaires, l'on peut supposer que tout l'éventail des opinions politiques démocratiques y est représenté. 
Il est rare dans une république de voir les magistrats sortir ès-qualités de leurs cours et de leurs tribunaux pour  porter publiquement dans la rue la mercuriale, jusqu'à la plus haute juridiction qu'est la Cour de Cassation. 
Les chefs de juridiction, y compris le parquet, pourtant hiérarchiquement rattaché au pouvoir exécutif, se font l'écho du malaise grandissant.


Dans l'éclosion d'une révolte, il y a certes une goutte d'eau qui fait déborder le vase, mais pour déborder il faut que le vase soit auparavant plein. 
Depuis dix ans que nous entendons les rodomontades sécuritaires qui ne manquent pas de naître de l'exploitation du moindre fait divers, que de lois empilées qui modifient les codes judiciaires, exposant ainsi les décisions, ordonnances, jugements et arrêts de ceux à qui la République a précisément confié l'exercice de cette noble fonction à une perpétuelle insécurité ! Lois Perben I, II, Loppsi, etc..., peines planchers, et aggravations des peines ont-elles chassé de nos cieux et de nos terres le fléau du crime?
Si tel était le cas, cela se saurait. Cela se devrait dire. Il n'y a pas si longtemps, la pusillanimité des sentiments ne voyait pas autre chose dans le maintien de la peine de mort dans notre code, quand bien même on ne l'appliquât point, que l'ultime instrument de la dissuasion. Sotte naïveté que de croire qu'à l'instant de commettre l'irréparable, la perspective de l'échafaud, du petit matin blême, et de la lame de la guillotine faisant passer le criminel de vie à trépas dans la clandestinité d'une cour de prison allait arrêter la main du criminel !
De temps à autres, dans les procès où se jouait la tête des accusés, les avocats généraux, pour peu qu'il leur restât un peu de culture et d'art oratoire, s'en prenaient aux romantiques de salon qui pensaient que la société s'honorerait en supprimant le châtiment suprême, leur reprochant pèle-mêle d'oublier les victimes, et s'efforçant de persuader jury et cour que seule la menace de la mort pouvait faire reculer les criminels, laquelle  menace n'avait pourtant point retenu la main homicide de celui dont pourtant ils réclamaient la tête. A cette rhétorique en répondait une autre, celle de l'avocat, d'autant plus persuasif que sa robe avait connu le baptême du sang, quand, prévenu par un appel du parquet général, il apprenait qu'il fallait qu'il laissât un numéro de téléphone où on le pouvait joindre à tout moment, s'attendant désormais à être appelé au milieu de la nuit, pour s'entendre mandé d'être à la prison à trois heures du matin.
C'est cette idée de la justice disposant du pouvoir de faire expier le crime dans le sang qui prévalut dans notre France jusqu'en 1981, où le courage d'un président élu qui avait posé cartes sur tables, conduisit notre pays à abolir la peine de mort en temps de paix. 
C'est au contraire cette autre idée de la justice renonçant à la loi du talion, qui récemment encore nous conduisit à déclarer que désormais la peine de mort n'était point conforme à notre constitution.

Quand aujourd'hui nous constatons qu'au plus haut niveau de l'Etat, on érige en norme l'exploitation populiste et malsaine du drame le plus horrible fût-il, au point d'avoir l'impudence de laisser croire que le crime pouvait résulter de la faute de la justice, l'on est tenté de se dire qu'heureusement qu'est passée l'époque où un garde des sceaux qui savait de quoi il parlait quand il vint demander aux députés et sénateurs d'abolir la peine de mort, car sinon aujourd'hui, si n'avait pas été aboli le châtiment suprême, celui-ci, quand bien même il n'eût pas été requis, serait certainement prononcé par des jurys nettement plus répressifs qu'il y a quarante ans, et peut-être appliqué...

Assurément, il eût été important qu'au plus haut niveau de l'Etat précisément on gardât raison. C'eût même été sage. Nul ne discutera l'abjection d'un crime horrible où le dépeçage du corps de la victime vient se rajouter à  l'horreur en soi révoltante du meurtre et du viol.
Mais appartenait-il à celui auquel notre Constitution assigne comme devoir de sa charge la garantie de l'indépendance de la Justice de stigmatiser une profession entière, de laisser croire que la commission d'un crime sordide pouvait résulter de la faute d'une institution, comme si, avec les meilleures garanties de suivi d'exécution des peines et des mesures post-sentencielles, l'on eût pu empêcher en toute heure du jour et de la nuit le criminel de perpétrer le sauvage assassinat d'une jeune fille?
Lorsque l'on a pris sciemment le risque de stigmatiser ainsi l'autorité judiciaire, il ne faut alors pas s'étonner que celle-ci, hiérarchie en tête, est-il besoin de le signaler, retrouve soudain les accents de la mercuriale, et adresse à la puissance exécutive la remontrance que hélas elle mérite.
Est-ce un honneur pour notre pays d'accorder à son autorité judiciaire des moyens inférieurs à ceux que lui accordent d'autres pays pourtant infiniment moins favorisés que le nôtre?
Loin d'avoir apporté la réponse adéquate à la criminalité et la délinquance qu'elle prétendait juguler, la multiplication des lois pénales a accru l'insécurité judiciaire, et partant contribué à l'illisibilité des jugements, faisant planer sur Thémis elle-même non point la saine crainte quand celle-ci naît du doute raisonnable, mais la crainte même de commettre l'erreur, paralysant ainsi son action, exposant presque sans cesser juges de tout niveau à douter même de la règle de droit qu'il convient d'appliquer.

Lorsque l'on prend soin d'examiner la décrépitude dans laquelle l'impéritie de nos gouvernants a enfermé l'autorité judiciaire, il ne faut pas s'étonner davantage de voir robes rouges et hermines, toges, épitoges et mortiers quitter les lambris et les ors de la grand' chambre pour battre le pavé.


Qui croirait que derrière la façade du palais séculaire de l'île de la cité, s'entassent greffiers et magistrats devant se contenter parfois d'obscurs réduits que l'on ne montre jamais pour y travailler à la rédaction de leurs écrits? Qui croirait que ce que l'on nomme dépôt ou geôles est présentement indigne d'une démocratie avancée? Qui croirait que - risquant de bafouer la jurisprudence européenne sur le droit au procès équitable - comparutions immédiates - du moins dans les tribunaux des ressorts les plus peuplés - conduisent les juges à siéger jusqu'à la nuit tombée, et reprendre le lendemain une nouvelle journée parfois dès potron-minet.
Naguère, il y a seulement moins de quarante ans, lorsque le garde des sceaux, ou le ministre de l'intérieur, quand survenait un crime capital, oubliaient leur devoir de réserve, séduits qu'ils pouvaient être par les pièges captieux des microphones et des caméras, le président de la république ne manquait pas au conseil des ministres qui suivait de rappeler, certes mezza voce, à ces mêmes ministres qu'il fallait qu'ils abstinssent de commenter une affaire en cours, précisément au nom de la séparation des pouvoirs, mais aujourd'hui, le poison du populisme semble s'être à ce point inoculé, que l'opinion publique elle-même ne perçoit plus qu'il est tout simplement obscène de voir ceux à qui la conscience de leur charge doit précisément inspirer de sains devoirs de modération, de justice et de retenue, entonner avec une singulière complaisance les antiennes les plus nauséabondes de l'idéologie sécuritaire.

Si l'on souhaite que notre République ne se coupe pas de manière irréfragable de ceux qui ont charge d'exercer l'autorité judiciaire, ce sont d'autres chemins qu'il faut emprunter, et ces chemins ne sont pas ceux du populisme qui consiste à exploiter de manière obscène, et disons-le, irrespectueuse de la décence pourtant due aux victimes et leurs familles, et à livrer ce faisant, par le prisme du pilori médiatique, l'institution judiciaire à l'opprobre et au blâme publics. Ces chemins de la nécessaire réconciliation de la République et de sa justice passent par l'arrêt de la gesticulation et de l'empilement des mesures et des lois. Commençons par tirer le bilan de toutes les lois empilées, de voir si le redécoupage de la carte judiciaire produit les effets que l'on en attendait, donnons simplement à l'institution telle qu'elle est les moyens humains et matériels dont elle a besoin avant de lancer des mesures à l'issue incertaine comme pourraient l'être l'introduction du jury populaire au tribunal correctionnel, la disparition du juge d'instruction, ou la tendance à copier servilement dans nos mœurs juridiques des traditions exogènes auxquelles répugne le génie français.