dimanche 11 mars 2012

CAVEAMUS CIVES NE QUID DETRIMENTI RES PUBLICA CAPIAT

L'on sait dans quelles circonstances le Parti Socialiste a désigné son candidat. 

Le moins que l'on puisse dire aujourd'hui est qu'il n'a pas l'air d'avoir gardé trace des cours de droit constitutionnel qui lui ont certainement été dispensés du temps de ses études à Sciences Po et à l'ENA ni posséder au contraire d'un François Mitterrand ou d'un Charles de Gaulle le minimum de sensus historiae, ce je ne sais quoi qui fait que la parole de qui aspire à la magistrature suprême entre intuitivement en résonance avec l'âme séculaire de la France. 

Tout récemment, et au prix d'un ahurissant contresens linguistique doublé d'une coupable bévue juridique, François Hollande propose de retirer de la Constitution un mot que le puritanisme politiquement correct semble désormais condamner aux gémonies dans son désir de satisfaire les revendications communautaristes.

Dans un meeting consacré à l'Outre-Mer, François Hollande déclare ceci: 

"Il n'y a pas de place dans la République pour la race. Et c'est pourquoi je demanderai au lendemain de la présidentielle au Parlement de supprimer le mot race de notre Constitution"http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2012/03/10/97001-20120310FILWWW00449-hollande-supprimera-la-mention-de-race.php

Passons sur l'absence de recours au referendum, procédure normale prévue dès lors qu'il s'agit de toiletter la constitution, tant il est vrai que jusqu'à présent, les referenda successifs n'ont pas passionné le corps électoral quand celui-ci n'y a pas de son propre chef substitué une autre question. 
S'il ne s'agissait que de cela, ce serait anecdotique, encore qu'il ne soit pas saugrenu de s'interroger sur les motivations réelles d'un tel refus de recourir à la procédure normale, puisque la Constitution dispose en son article 89 que le recours au referendum est la règle normale, et le recours au congrès avec majorité des trois-cinquièmes une voie substitutive et dérogatoire qui ne se justifie que par la technicité de la question rendant difficile l'hypothèse même de la soumettre au peuple.




Il est entendu que la race humaine est une et indivisible. La science nous le prouve. Le droit nous l'enseigne. Mais notre législation punit aussi toute forme de discrimination et la discrimination raciale en particulier. C'est donc qu'en droit le terme de race doit être entendu comme parfait synonyme d'ethnie, et qu'en conséquence toute discrimination fondée sur celle-ci est punissable, à condition sine qua non qu'il ne saurait exister de peine pour punir un délit qui n'ait pas été préalablement défini. 

Mais le pauvre Monsieur Hollande semble dans son élan certainement généreux avoir oublié plusieurs choses.

L'article 2 de la constitution du 4 octobre 1958 est inséparable du bloc constitutionnel constitué par la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, le préambule de la constitution de 1946 toujours en vigueur et les traités internationaux qui selon une jurisprudence constante ont une valeur supérieure à la Constitution. 


Supprimer un mot de notre Constitution si étroitement lié à son préambule et si dépendant d'un contexte historique qui le justifie amènerait alors à devoir récrire le préambule de la constitution de 1946...!

Le préambule de 1946 fait clairement référence à la volonté du législateur et du peuple français d'établir la vie politique sur des bases démocratiques respectueuses de l'éminente dignité et égalité de tous les hommes. Il n'est pas inutile de le citer intégralement : 
1. Au lendemain de la victoire remportée par les peuples libres sur les régimes qui ont tenté d'asservir et de dégrader la personne humaine, le peuple français proclame à nouveau que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés. Il réaffirme solennellement les droits et libertés de l'homme et du citoyen consacrés par la Déclaration des droits de 1789 et les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République.

Nos législateurs d'alors n'ignoraient certainement pas qu'il importait au lendemain de la période la plus sombre de l'histoire du monde où précisément un régime de brutalisation avait programmé l'anéantissement de milliers d'êtres humains en raison de leur origine, race, ou religion qu'il importait justement de prémunir à jamais nos concitoyens contre la résurgence de pareils travers dont hélas l'esprit humain quand il n'est pas guidé par de justes lois et par la raison peut encore être capable. 

La Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales, adoptée à Rome le 4 novembre 1950, en son article 14, stipule quant à elle ceci : Article 14 – Interdiction de discrimination
La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation.

Ce texte, parce qu'issu d'un traité international, est placé dans la hiérarchie du droit, au dessus des lois nationales, et fait partie du bloc de conventionnalité, et ne peut être, sous peine de devoir la modifier, en contradiction avec la constitution.

Nos juristes européens qui rédigèrent la convention européenne n'ignoraient certainement pas ce qu'ils faisaient, et il est garanti que chaque mot y a été pesé. 

A cette série de références normatives, il convient de rajouter la charte des droits fondamentaux de l'union européenne. Proclamée lors de la signature du traité de Nice le 7 décembre 2000, ce texte a une valeur supérieure à la constitution. Le chapitre III de la dite charte traite de l'égalité, et l'article 21 alinéa 1 est ainsi libellé : 
Non-discrimination
1. Est interdite, toute discrimination fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, les origines
ethniques ou sociales, les caractéristiques génétiques, la langue, la religion ou les convictions, les
opinions politiques ou toute autre opinion, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la
naissance, un handicap, l'âge ou l'orientation sexuelle.


On pourrait aussi rajouter la référence à la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme adoptée le 10 décembre1948 par l'Organisation des Nations Unies lors d'une assemblée générale tenue à Paris. Cette déclaration à laquelle participa Stéphane Hessel met en exergue en son article 2 Alinéa 1 l'impératif catégorique de non discrimination. 
Cet article est ainsi libellé : 

Article 2

1.Chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés proclamés dans la présente Déclaration, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d'opinion politique ou de toute autre opinion, d'origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation. [...]

Le candidat du Parti Socialiste aurait-il oublié à ce point les leçons tragiques de l'histoire contemporaine, et particulièrement que les générations qui nous ont précédés avaient la conscience du bien commun en rappelant sous la forme la plus solennelle, celle de la norme constitutionnelle que la distinction d'origine, de race, ou de religion n'a pas droit de cité en France, non plus qu'en Europe d'ailleurs, puisque le texte de la constitution de 1958 ne pouvait être en contradiction avec la Convention Européenne. 
Peut-on tourner le dos ainsi à ce qui est désormais une histoire commune de l'Europe? Nos concitoyens européens qui ne sont pas suspects de la moindre faiblesse dans la lutte contre la discrimination de race ou d'ethnie ne comprendraient pas que la France tournât à ce point le dos à tant de combats contre la discrimination dont la plus grave est assurément celle qui nie le caractère humain à l'homme ou qui prétend instaurer des hiérarchies et des classements. Les terreaux idéologiques et les substrats mentaux qui naguère rendirent possibles les génocides perpétrés pas les nazis existent malheureusement encore. La Constitution n'est pas seulement affaire de symbole, en rappelant sans ambages le refus de toute discrimination de race, elle énonce ipso dicto l'unicité et l'indivisibilité de la race humaine. N'y eût-il que cette raison, cela justifie pleinement que les citoyens que nous sommes prenions garde à ce que notre République ne subisse aucun dommage. CAVEAMUS CIVES NE QUID DETRIMENTI RES PUBLICA CAPIAT.



Ne nous y méprenons pas. Si précisément la France entend rester le phare universel des Droits de l'Homme, ce n'est pas en rayant de son texte juridique fondateur un mot qui précisément s'y trouve pour prémunir à jamais notre peuple des travers de ceux qui naguère instaurèrent des régimes de brutalité et de persécution fondés sur la mise en pratique des théorisations abjectes sur l'inégalité des races. 

Précisément, ce mot dans notre constitution nous rappelle l'irréductible et indéfectible unicité de la race humaine. Le rayer d'un trait de plume serait hélas tourner le dos à la mission séculaire de la France en Europe et dans le Monde. La France, faute de faillir à sa mission et de trahir ses idéaux séculaires, ne doit pas s'engouffrer dans ce chemin aventureux.