mercredi 3 septembre 2008

EDVIGE, UNE MENACE POUR LES LIBERTES

Depuis sa publication au journal officiel du 1er juillet, le décret instaurant la mise en place du fichier Edvige (Exploitation Documentaire et Valorisation de l'Information Générale), multiplie interrogations et mécontentements. Ce fichier se propose de recenser des données touchant à la vie privée, y compris concernant les mineurs et toute personne susceptible de troubler l'ordre public (notion juridique bien floue au demeurant).
Ces données porteraient sur l'adresse, les numéros de téléphone, les adresses électroniques. Les publics visés par la collecte de ces données pourraient être des personnes qui exercent un mandat électoral, en ont exercé un, ou ont même simplement été candidats, et même les responsables syndicaux, économiques, sociaux ou religieux, ou qui ont exercé même peu de temps de tels mandats ou missions. Et même les données touchant à l'orientation sexuelle ou aux choix de vie pourraient faire l'objet de ce fichage.
Imaginons un seul instant quel usage pourrait faire de toutes ces données un régime dictatorial ou génocidaire ou tout le pouvoir de nuisance si ces renseignements venaient à être connus de personnes mal intentionnées. C'est alors que les sycophantes, ces délateurs professionnels qui pourrissaient la démocratie athénienne, referaient leur apparition.
N'avons donc nous rien appris des années sombres de l'Occupation? de ces années où l'on sait quel usage fut fait des fichiers alimentés par la police française parfois dès avant la guerre?
Cette conception de l'ordre public et de restriction des libertés soit disant pour des motifs de sécurité évoque malheureusement des périodes bien troubles de l'histoire: les régimes totalitaires, les régimes anti-démocratiques qui par calcul, intérêt ou couardise s'en font les complices comme le fit l'Etat français sous l'occupation, ou lorsque les institutions républicaines dont on est en droit d'attendre une intégrité sans faille chez ceux qui exercent les plus hautes responsabilités subordonnent l'octroi des postes ou des promotions à des considérations autres que touchant le mérite ou la compétence, comme ce fut le cas lors de la fameuse affaire des fiches où le ministère de la guerre, sur la base d'informations transmises par les loges maçonniques, bloquait la carrière des officiers qui allaient à la messe.
Face à ces risques liberticides, une seule voix, celle de François Bayrou, et le silence bien étonnant des socialistes qui n'en finit pas de se convertir aux sirènes sécuritaires (après le droit de fouilles des véhicules sans mandat de perquisition octroyé aux forces de police du temps de Jospin, après les incantations royalistes sur l'ordre juste, il ne faut pas s'étonner d'assister à une régression sans précédent des mentalités du pays des droits de l'homme dont on finit par se demander si aujourd'hui il serait capable de voter les lois de libéralisme avancé acquises sous Giscard d'Estaing ou l'abolition de la peine de mort votée sous le premier septennat de Mitterrand).
Lois sur la récidive et les peines planchers, enfermement sécuritaire une fois les peines purgées, projet de suppression de la clause d'irresponsabilité pénale des malades mentaux avérés, fichage individuel, tout cela procède d'une même logique: l'exploitation malsaine du sentiment d'insécurité, l'exploitation tout aussi malsaine qu'implique la compassion victimaire où pour exister et être considéré il faut forcément être victime de quelqu'un ou de quelque chose.
Lorsque la cité s'abandonne à ce point aux fantasmes panoptiques, à l'obsession de la précaution, c'est se préparer insidieusement à abdiquer tout ce qui fait la grandeur des démocraties: la liberté individuelle sous toutes ses formes, la responsabilité personnelle et enfin le droit à l'oubli quand ceux qui ont enfreint les lois ont purgé leur peine.
Au lieu de perdre temps et énergie à ergoter sur la politique étrangère, ou de barguigner à l'envi à propos du bouclier fiscal ou du RSA, ceux qui se reconnaissent dans les idées démocrates seraient bien mieux inspirés, comme François Bayrou, de rappeler qu'il est des libertés qui ne se négocient pas.
Pour paraphraser Benjamin Franklin, ce n'est pas parce que l'on abdique une once de liberté que l'on gagne en sécurité. Pire encore, on risque perdre l'une comme l'autre, et de son plein gré, car bien des servitudes sont au départ volontaires.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

est-ce bien pire que s'inscrire dans facebook??? ou viadeo ou linkedin où tous nos responsables politiques ont déjà un profil???

inmediostatvirtus a dit…

Il y a une différence, c'est que quand on s'inscrit sur FaceBook, ou sur n'importe quel site, on choisit de le faire, et on diffuse ce que l'on veut bien diffuser...Tandis que sur Edvige, on ne vous demandera pas votre avis, et vous serez probablement fiché à votre insu... sans guère de possibilités de contrôle des données qui sont consignées.
Et puis, il y a une différence entre vie privée et vie publique.
Quand on s'engage politiquement, que l'on ne cache pas ses convictions, c'est un choix libre. Mais tenir au respect de son intimité, de ses choix de vie privée, ce doit être aussi un choix.
Et puis, différence suprême, vous pouvez toujours vous retirer des sites tels que facebook ou autres. Sur Edvige, le citoyen n'a pas la main... C'est Big Brother à l'oeuvre. Pas plus, mais pas moins non plus.
La preuve en est la cacophonie gouvernementale obligeant le Président de la République à calmer l'incendie, et à demander à la ministre de l'intérieur de passer par la voie législative...
Cela ne montre-t-il pas que les craintes n'étaient pas des fantasmes, et que les protestations aussi bien à droite qu'à gauche n'étaient pas des lubies de politiciens en mal de publicité?