Notre république s'honore d'être une démocratie. Alors faisons un peu d'histoire grecque, puisque ce régime y est né. Il est loisible à quiconque s'intéresse un tant soit peu au sujet d'apprendrer que l'on y badinait pas avec la morale, et que mieux valait pour qui aspirait aux charges publiques n'avoir pas maille à partir avec la justice.
Les magistrats désignés - on dirait aujourd'hui les élus - devaient au préalable se soumettre à la dokimasia, qui vérifiait si l'impétrant remplissait les conditions de nationalité, s'il s'acquittait de ses impôts, et s'il satisfaisait à ses obligations militaires, et si sa vie privée était exemplaire. Cet examen était dévolu à un jury de citoyens présidés par les Thesmothètes. Devant cette assemblée, si quelqu'un avait une accusation à formuler, un débat contradictoire s'engageait alors, puis l'on passait au vote. Un magistrat pouvait se retrouver ainsi invalidé.
En fin de mandat, les magistrats devaient rendre des comptes, au sens propre du terme, et ne pouvaient avant d'avoir satisfait à cette obligation, ni quitter Athènes, ni disposer de leur patrimoine.
Certes, il n'y a pas commune mesure entre la démocratie directe telle que la connut l'antique Athènes et nos Etats modernes, où la démocratie est par nature représentative.
Une dernière polémique aux relents nauséabonds en Île de France sur le passé présumé d'un candidat investi par le parti socialiste est l'occasion de rappeler quelques évidences: le Code électoral ne dispose-t-il pas que les candidats à une élections doivent remettre en même temps que leur déclaration de candidature un extrait de casier judiciaire, le Bulletin n° 3, que seul l'intéressé peut demander?
Mais il existe aussi pour tout un chacun la possibilité d'obtenir auprès du greffe du tribunal ou de la cour qui a rendu un jugement ou un arrêt la copie intégrale de celui-ci. A condition pour l'auteur de la demande de fournir un certain nombre de renseignements qui supposent de sa part une connaissance assez précise des affaires en question, comme la date de prononcé du jugement, la chambre du tribunal ou de la cour qui l'a rendu, le numéro d'enregistrement au greffe.
Nous n'inventons pas, en voici la preuve sur le site du ministère de la justice, https://www.formulaires.modernisation.gouv.fr/gf/cerfa_12823_01.do
Par ailleurs, la justice est rendue au nom du peuple français, ce qui signifie que tout jugement est par essence rendu en audience publique, même dans le cas où les débats se sont tenus à huis clos, et qu'il est en théorie ainsi loisible à quiconque se trouverait dans le prétoire, même sans être partie à la cause, de savoir par le menu les détails du jugement.
Il n'est pas rare, dans les quotidiens de presse locale, dans la rubrique faits divers, de donner aussi des comptes-rendus d'audience parfois développés, et la législation n'interdit pas de faire état de l'identité des personnes condamnées, exception faite des mineurs, des faits poursuivis et des peines prononcées.
De plus, il est d'usage dans les salles des pas perdus d'afficher le rôle des audiences pénales, avec mention des personnes poursuivies, leur date et lieu de naissance, ainsi que la nature des faits incriminés.
L'on ne peut pas non plus exclure, jusqu'à preuve du contraire, une indiscrétion ou une confidence imprudente et inopportune de tel magistrat ou autorité de police ayant eu accès aux pièces de procédure, ou ayant interrogé le casier judiciaire. N'y avait-il pas eu naguère un magistrat indélicat qui consultait assidûment le fichier du Bulletin n° 1 (réservé aux seuls autorités judiciaires) pour le compte de je ne sais plus quelle obédience maçonnique et à des fins quelques peu éloignées des besoins d'enquête judiciaire.
En l'espèce, la vraie question à se poser, n'est-elle pas celle de la réapparition d'une forme moderne de la pratique des sycophantes, qui se faisaient à Athènes une spécialité de dénoncer les vices d'autrui, non par esprit de civisme, mais par esprit de lucre. Est-ce que par hasard le culte de l'audimat, la quête effrénée du buzz n'en serait pas l'un des ingrédients?
Enfin, nos sociétés, quelles que soient les lois qui restreignent la communication des écrits judiciaires ou l'interdisent à quiconque n'est pas habilité, ou en rendent l'accès dissuasif, qui prévoient une forme de droit à l'oubli, ne prémunissent peut-être pas suffisamment leurs concitoyens contre quelque chose de beaucoup plus délétère et,pervers : la permanence quelque part dans la mémoire numérique mondiale de toutes les traces numériques que chacun y laisse, et qui constituent - pas seulement virtuellement - un risque pour les réputations, l'honneur personnel, dans la mesure où un clic de souris en un rien de temps donne accès à des informations auxquelles naguère seule la consultation minutieuse de masses de papier pouvait permettre l'accès?