mercredi 12 octobre 2011

LES PRIMAIRES DU PS, UN BIDE ABSOLU ?

Nous connaissions les OVNI, objets volants non identifiés. Nous découvrons depuis quelques semaines un OCNI, objet constitutionnel non identifié.
Nul n'ignore que cette année 2012 est celle de l'élection présidentielle. Peu de gens savent en revanche quelles sont les conditions que notre loi fondatrice, la Constitution du 4 octobre 1958, amendée par ses révisions successives, fixe pour cette élection.
Depuis 1962, la Constitution dispose que le Président de la République est élu au suffrage universel direct et que cette élection si aucun candidat n'obtient la majorité absolue au premier tour implique un second tour le deuxième dimanche qui suit auquel seuls sont en lice les deux candidats arrivés en tête au premier tour. Les lois organiques précisent les conditions requises pour être candidat à cette élection. Outre l'évidence nécessaire d'être de nationalité française, ces lois organiques précisent les conditions d'âge et de recevabilité des candidatures. Ainsi en vertu de la loi n° 76-528 modifiant la loi n° 62-1292, le droit de présenter des candidats à l'élection présidentielle revient aux élus. Et pour qu'un candidat soit autorisé à se présenter devant les électeurs, il doit  avoir recueilli sur son nom au moins cinq-cents signatures d'élus et présenter devant le conseil constitutionnel une déclaration de patrimoine.
Les élus qui peuvent présenter un candidat sont :

  • les députés et les sénateurs,
  • les maires (maires délégués des communes associées, maires des arrondissements de Lyon et de Marseille),
  • les membres élus de l'Assemblée des Français de l'étranger,
  • les présidents des organes délibérants des communautés urbaines, des communautés d'agglomération et des communautés de communes,
  • les conseillers généraux des départements, de Mayotte, de Saint-Pierre-et-Miquelon et du conseil de Paris,
  • les conseillers régionaux,
  • les membres élus de l'assemblée de Corse, de l'assemblée de la Polynésie française, du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie et de l'Assemblée territoriale de Wallis-et-Futuna,
  • le président de la Polynésie française et le président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie,
  • les membres du Parlement européen élus en France et ressortissants français.

Le nombre de signataires potentiels est d'environ 45 000 personnes dont plus de 36 000 maires.
 
Ces parrainages doivent venir d'au moins trente départements ou collectivités d'outre-mer différents (les représentants des Français de l'étranger et des élus du Parlement européen étant comptabilisés dans deux départements fictifs à part entière), sans que plus d'un dixième d'entre eux soit issu du même département ou de la même collectivité d'outre-mer.
Source des données http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89lection_pr%C3%A9sidentielle_en_France

Que les partis politiques dans le cadre de leur fonctionnement interne mettent en oeuvre pour leurs seuls adhérents des procédures de désignation démocratique est une chose, mais la mise en oeuvre de primaires par le Parti Socialiste crée un précédent juridiquement fâcheux, ce d'autant plus qu'elle implique l'utilisation des listes électorales officielles.
Aucun texte normatif ne fixe de cadre pour une consultation directe de citoyens dont au demeurant une part n'est pas électeur (jeunes de moins de 18 ans, étrangers) alors qu'elle a pour finalité de désigner le candidat d'un parti à l'élection présidentielle, alors qu'existe une procédure constitutionnelle qui garantit la représentativité des candidats présentés, sauf à prétendre que les élus chargés de présenter un candidat à l'élection présidentielle ne représentent rien. 
Que dans le cadre d'une campagne électorale les coordonnées des électeurs soient collectées pour l'envoi à domicile de documents émanant des candidats est une chose, que son utilisation ait été rendue possible en l'absence de toute disposition législative prévoyant un tel type de consultation est juridiquement dangereux et moralement contestable.
Un tel scrutin garantit-il le secret du vote ? La collecte d'argent à cette occasion soumettant la participation au versement d'un Euro minimum a quelque chose qui en est soi choquant, est-elle compatible avec les lois existantes qui encadrent très strictement les règles de financement des partis politiques? La signature d'une déclaration d'adhésion aux valeurs de la gauche n'est-elle pas une épée de Damoclès? Parce que chez  le sympathisant non membre du parti en question celui-ci peut estimer à bon droit que cet engagement est privé et ne se divulgue pas? Parce que le sympathisant ou le membre d'un parti concurrent ou adverse peut venir jouer le chien dans le jeu de quilles et potentiellement influer sur le résultat. Imagine-t-on un seul instant même si cela relève de la politique fiction que le candidat désigné ne doive en réalité sa désignation qu'à l'intervention massive d'électeurs du parti adverse.
Enfin, une telle élection même à bulletin secret force celui qui s'y déplace ou qui s'abstient à afficher de ce fait même une couleur politique. Cela ne risque-t-il pas écorner le devoir de réserve qui pèse sur certaines professions, qui ont le droit de vote lors des élections, mais qui en raison même de leurs fonctions doivent s'abstenir de toute délibération politique (administration préfectorale, chef des services déconcentrés des ministères, autorité judiciaire, militaires...)? 
Imagine-t-on l'usage qui pourrait-être fait de tels listings si précisément ceux-ci n'étaient pas détruits aussitôt la consultation effectuée. 


Le nouveau gouvernement, ou même l'actuel n'échapperont pas à la nécessaire clarification législative qui devra s'opérer. Soit, on pose que ce type de consultation contrevient aux libertés publiques en venant parasiter une procédure constitutionnelle existante, et dans ce cas, elle doivent être purement et simplement interdites. Soit on en tire les conséquences constitutionnelles qui s'imposent en modifiant soit la loi organique, soit la constitution, et s'agissant de l'élection du président de la république, la procédure du referendum s'imposerait. Mais comme pour le passage du septennat au quinquennat d'une part, et l'inversion du calendrier des législatives, on ouvre une boîte de pandore sans savoir ce qu'elle contient réellement. Proposer une telle modification de la constitution maintenant pour la prochaine présidentielle aurait aussi pour mérite de placer le sénat face à ses responsabilités. 

Les médias nous ont abreuvé pendant ces trois semaines d'un matraquage éhonté, au point d'en faire perdre le sens commun. 

Aujourd'hui, au lendemain d'un premier tour, est-il crédible de parler de succès démocratique quand une part infiniment infime de l'électorat s'est déplacé. Rapporté aux seuls 17 millions et quelques du précédent candidat de ce parti lors de la précédente élection présidentielle, cela laisse pantois et rêveur et il serait plus judicieux de parler de fiasco ou de parodie doublée d'une lucrative opération commerciale pour un parti qui aura pour seul avantage incontestable de ne pas avoir laissé de plumes dans l'affaire.

Cet OCNI constitue une étape supplémentaire dans l'américanisation de nos moeurs électorales et loin de constituer un progrès, il masque une régression inquiétante.
Le côté casting et combat d'images s'y aggrave, puisque outre l'éviction avant même le dépôt des candidatures d'un probable candidat - pour qui il ne se serait agi que de primaires de confirmation - pour des raisons d'ordre judiciaire et touchant à l'éthique personnelle et à l'adéquation entre comportement et valeurs que l'on prétend incarner, le scrutin en question renforce le brouillage avec l'inscription du candidat dans l'histoire. François Mitterrand s'est présenté deux fois sans succès à la magistrature suprême, en 1965, 1974, et 1981; Jacques Chirac également, en 1981, 1988 et 1995, au terme d'un cursus honorum qui rendait crédible l'exercice de telles fonctions.
Ségolène Royal se retrouve reléguée par un score humiliant qui apporte le désaveu cinglant du choix de 2007 et donne raison a posteriori à ceux qui - vox clamantis in deserto, voix de celui qui crie dans le désert - représentaient et objectaient que ce choix là n'était peut-être pas le plus idoine. Après la Madone de 2007, nous ressort-on à présent l'icône de la Mater Dolorosa? Et - cruelle ironie - la saga familiale et le soap opéra de 2007 connaissent un nouvel épisode inattendu, puisque Monsieur Ex, François Hollande, et la rivale du congrès de Reims sont les qualifiés de ce deuxième tour, et le troisième homme est évidemment l'objet de toutes les convoitises. À l'heure des primaires socialistes, l'Assemblée Nationale débat d'une proposition d'un député de droite d'instaurer l'encadrement militaire des jeunes délinquants, hommage du vice à la vertu et de la vertu au vice, c'est selon, mais politiquement c'est bien joué pour instiller le doute chez les électeurs potentiels de la dame de l'ordre juste.

Sérénade chez les chtis, ou banquet radsoc au cul des vaches en Corrèze, voilà le débat qu'on nous propose. Tout ça pour ça.

Or les élections présidentielles sont tout, sauf un combat d'images; ou plutôt ne devraient pas l'être. 
La politique ne sort pas grandie de ce barnum pseudo-électoral qui n'a de citoyen que le nom, comme si un parti manquait à ce point d'humilité pour s'imaginer seul et unique dépositaire des valeurs censées cimenter le socle commun du pacte civique français. 
Le monde des médias qui s'est prêté à cette mascarade, qui a contribué à l'aveuglement collectif de nos concitoyens ne sort pas grandi d'avoir une fois de plus eu la sotte prétention d'imposer le prêt à penser. En 2007, après avoir imposé la loi d'airain des sondages pour faire désigner Ségolène Royal, ce même microcosme médiatique dont les relations d'intimité avec les sphères financières et ceux qui se taillent la part du lion du gâteau politique ont imposé l'image délétère d'un premier tour inutile - nous parlons de la vraie élection - comme si en vertu d'un  droit divin d'un nouveau genre le deuxième tour ne devait opposer que la droite et la gauche, comme si l'alternative était illégitime ou suspecte. Aujourd'hui ce même monde médiatique, cet arrogant pandemonium sacrifie tel le fier Sicambre sur le bûcher des vanités l'idole naguère portée au pinacle. 

Autant de signes qui montrent que ce genre de consultation est un usage contraire aux moeurs et usages républicains de notre pays. 
Lorsque dans un parti politique, une personnalité a suffisamment de charisme, ce je ne sais quoi qui rend une candidature crédible, même au fil du temps, il n'est nul besoin de recourir à cette mascarade qui n'utilise que l'aspect extérieur d'une élection avec ses listes, ses émargements, ses isoloirs, ses urnes, mais trompe sciemment le citoyen sur son objet réel. 
Rapporté à l'étiage prévisible du score de deuxième tour d'un candidat de la gauche, le fait que 2,6 millions de personne inscrites sur les listes électorales se soient déplacés est loin d'en faire un tsunami rose, et encore moins un élan démocratique, sauf à vouloir en rajouter dans l'imposture en faisant une imposture de langage. 
Une consultation ciblant l'ensemble du corps électoral susceptible de voter lors d'une élection présidentielle et réalisant un tel score n'est pas un bon signe pour la démocratie. Si elle n'avait que pour unique objet de révéler ce que tout le monde sait, c'est-à-dire, la division entre la tendance gauchiste et la tendance sociale-démocrate d'un PS qui n'est pas en mesure de neutraliser la concurrence verte comme naguère le fit François Mitterrand avec les communistes, cela est parfaitement inutile. 
Qu'enfin à droite, on oublie à ce point la lettre et l'esprit de notre constitution pour se pâmer d'admiration devant ce simulacre est inquiétant. 
Dans ce concert de louanges devant les primaires à l'américaine on oublie juste l'essentiel. En Amérique, on est soit démocrate, soit républicain. Il n'y a pas de place pour la nuance, et l'élection se fait à un seul tour, non pas au suffrage universel mais sur le décompte de mandats de vote de grands électeurs dont la couleur politique est identifiée. 
En France, nous avons un premier tour qui permet justement cette expression des nuances, l'existence de formations refusant la logique bipolaire, et qui permet même, cela peut apparaître quelque peu baroque, à des groupuscules minoritaires de porter leur témoignage. Cela aussi, cela fait parti du génie français. 
Ne nous plaignons pas si demain on entend une nouvelle antienne médiatique proclamant urbi et orbi que la France est toujours en campagne électorale. Un président est à peine élu que l'on pense à sa succession. Et si les primaires devaient devenir un mode, elles rallongeraient d'autant la campagne électorale présidentielle se rajoutant aux effets collatéraux du passage au quinquennat qui raccourcit le temps politique français et qui politise de façon excessive et disproportionnée jusqu'aux débats municipaux où justement le quotidien des gens, ce qu'ils vivent vraiment justifierait que les étiquettes des partis restent à la porte de la salle du conseil municipal, ou même du conseil général ou régional. 






lundi 3 octobre 2011

UN PRÉSIDENT DE GAUCHE A LA TÊTE DU SÉNAT, UNE NOUVEAUTÉ ? PAS TANT QUE CELA ...

L'actualité de la semaine a remis sous les feux de la rampe médiatique la vénérable institution républicaine qu'est le Sénat.

L'élection attendue d'un président du Sénat appartenant au parti socialiste n'est pas une raison pour oublier l'histoire.

Que le vulgum pecus ignore l'histoire, passe encore, mais que les commentateurs politiques aient si peu de connaissances en histoire contemporaine est affligeant.

Déjà sous la Cinquième République, le Sénat fut présidé par un homme de gauche, Gaston Monnerville, pur produit de l'élitisme républicain. http://www.senat.fr/evenement/archives/D23/intro.html. L'on remarquera simplement qu'il était alors possible de naître à Cayenne et que cela ne conduisait pas à se heurter à un plafond de verre et n'empêchait pas de suivre le cursus honorum qui du barreau conduisait au plateau celui qui en avait les talents.

Gaston Monnerville



Il est aussi une figure dont le président nouvellement élu du Sénat aurait pu revendiquer le patronage, c'est Jules Jeanneney, qui présida le Sénat de 1932 à 1940 et fut l'un des ministres du général de Gaulle dans le gouvernement provisoire de septembre 1944 à novembre 1945. Lors de la débâcle de mai-juin 1940, il fut de ceux qui défendirent le départ des institutions de l'Etat en dehors de la France occupée, pour pouvoir continuer la lutte depuis Alger. Les événements tragiques et la pression des partisans de l'armistice ne le permirent pas. Après le vote de celui-ci, auquel il ne prit point part en sa qualité de président de l'Assemblée nationale (nom donné sous la troisième République à la Chambre des Députés et au Sénat lorsqu'ils étaient réunis soit à Versailles pour l'élection du président de la République, soit pour modifier les lois constitutionnelles sous la présidence du Président du Sénat), il ne cessa de défendre le maintien des assemblées s'opposant ainsi à Pierre Laval partisan de la mise en congé du Parlement. http://www.senat.fr/senateur-3eme-republique/jeanneney_jules1206r3.html .



Cet oubli de notre histoire contemporaine et des similitudes qu'elle présente par rapport à notre époque est préoccupante, car un pays qui oublie son histoire se laisse trop soumettre au primat de l'actualité et à l'arrogance infatuée des communicants de tout acabit dont on peut légitimement se demander à quelle date ils ont consulté pour la dernière fois un manuel d'histoire ou interrogé des bases de données documentaires sérieuses.